mardi 5 septembre 2017

"Détails": exposition des oeuvres récentes du peintre Andréa Clanetti à la Lesbrouss ART Gallery à Bruxelles

"DETAILS"
ANDREA CLANETTI OU L’EXPLORATION DE LA FRAGILITE. 

du 9 au 30 septembre



L’inspiration d’un artiste se nourrit de toutes les expériences sensorielles qui s’entrelacent lorsqu’elles prennent forme sur la toile ou sur la page. L’imaginaire du peintre vénitien  Andrea Clanetti additionne plusieurs strates sédimentaires : la première d’entre elles s’est construite à partir d’images dessinées et filmées. Les « comics » et le cinéma ouvraient à l’enfant Clanetti un univers de sensations et d’émotions dont le peintre ne cessera d’explorer les routes. Dès les premiers dessins, le jeune homme s’efforcent de reconstituer la poésie des regards, la violence des gestes, la grâce de la féminité. Au pastel, il recrée les visages des stars d’alors : le plus émouvant des ceux-ci, celui de Greta Garbo, réunit dans la douceur des traits une rêverie enfantine de la féminité. L’artiste mûrit, multiplie les angles d’attaque, s’aventure dans les chemins de traverse : le monde qui le hante est sans limites, la soif de découvrir inextinguible.
Sans jamais l’épuiser, Clanetti puise dans la nostalgie du cinéma italien de son enfance. Sans mélancolie ni tristesse. Au contraire : la jubilation de l’artiste est intacte dans chacun de ses coups de pinceaux expressionnistes autant que dans la précision de ses dessins. Il sollicite toutes les techniques dont il a acquis la maîtrise. Remarquable illustrateur et dessinateur, il convoque sur la toile les figures emblématiques du cinéma (dont une toile magistrale représentant une scène de la Dolce Vita) et celles des "comics" américains : la gouache, l’acrylique, l’encre de chine, le fusain et le pastel déploient une palette sans cesse renouvelée. Il explore le noir et blanc dans une série de toiles inspirées de « L’Homme invisible » : d’un geste de la main, d’un mouvement de tissu, il fait apparaître dans la transparence réinventée un visage absent dont on croirait voir l’expression. Suivant le moment où le spectateur regarde la toile, le regard invisible nous dit l’angoisse, la force, l’invulnérabilité, la peur ou la fragilité.
Dans le même format qui lui convient particulièrement, 100 sur 100,  il recrée les visages de Frankenstein, d’Anna Magnani, de Marcello Mastroianni mais aussi d’amis et de proches. Au premier de ces « portraits », un Donald Duck, Clanetti avait donné une paradoxale  dureté du regard et de l’expression. Dans ces tableaux faussement sombres, Clanetti réussit chaque fois à restituer une forme de révolte de la vie face au sentiment tragique qu’elle inspirait au philosophe.
Dans ses œuvres récentes, l’artiste aborde la série dans des formats plus petits. Il poursuit la fascination qu’exerce sur lui la chorégraphie des westerns à l’italienne. Cette fois-ci il essaie de piéger cette fantasmagorie en isolant la gestuelle des personnages, en immobilisant les protagonistes à l’instant précis où le duel va se déclencher, le coup de feu va partir. Pour en tester la force d’évocation, il déplace les personnages hors de leur contexte : au lieu du saloon, un immeuble moderniste, au lieu d’une plaine désertique, une zone urbaine.
L’artiste s’en explique :
«  J’essaie de capturer l’instant suspendu qui précède l’action, le moment où tout est encore possible face à une épreuve.  Le personnage emblématique du “pistolero”, inspiré par les films de Sergio Leone, incarnent à mes yeux notre dualité : héros et antihéros à la fois, ces figures mythiques incarnent une humanité ni entièrement bonne ni  entièrement méchante, rude et intrépide. Dans la narration, les conflits se résolvent à coups de feu. C’est la loi du genre. J’ai voulu aller derrière l’écran, modifier l’espace-temps, mais aussi l’inéluctable déroulement de l’action. Transportés dans un autre présent, comme les personnages de « Startreck », les invincibles pistoleros sont pétrifiés, en attente, abasourdis.
Il y a selon moi une forme de poésie picturale dans cet instant figé. Le personnage redevient homme, la logique dans laquelle il se confortait est brisée. Il redevient maître de son choix. Il se découvre homme face au choix, à l’inattendu, au destin. J’ai choisi de les placer dans un environnement architectural ou urbanistique épuré mais structuré, plus propice à mes yeux pour mettre en avant la précarité soudaine de la figure humaine face à la géométrie des éléments. La perfection formelle mais immobile des architectures d’ Oscar Niemeyer (comme p.e.  le Palazzo Mondadori à Milan) déstabilisent le personnage. Elles semblent l’ébrécher.  En même temps, la rudesse et l’imperfection  de la silhouette humaine mettent  à  nu la froideur aliénante des lignes  de telles constructions. Il y a là une tension entre l’ (notre) image du héros mythique, sa charge évocatrice d’une humanité imparfaite mais invincible, et celle de la création architecturale qui, dans sa perfection, reste indifférente, imperturbable, inaccessible, distante  par rapport à l’humain.
La tension produite par cet équilibre menacé crée l’incertitude, cette source inépuisable pour un artiste. » 
Ce que nous avons vu des œuvres nouvelles qu’il présentera aux cimaises de la Lesbrouss ART Gallery nous indique un approfondissement renouvelé de l’inspiration qui le conduit vers un travail sur les gris et noirs (qu’il avait déjà tenté dans une de ses œuvres les plus fortes, « L’homme invisible », 2011), sur le mouvement que cette bipolarité des teintes lui permet d’explorer. Le cinéma n’est jamais loin de la toile sur laquelle le peintre projette une imagerie devenue dense, grave, intense. Le trait crée un mouvement elliptique auquel la perspective, en déséquilibre, donne une profondeur inattendue. Aucune toile de Clanetti ne laisse indifférent le spectateur. Longtemps après qu’il l’ait regardée, elle interroge sa sensibilité, sa présence au monde, son regard sur celui-ci. N’est-ce pas là une des fonctions les plus nécessaires de l’art ?
Jean Jauniaux, Bruxelles, novembre 2012 et septembre 2017.

"L'homme invisible", Andréa Clanetti, 2010, "une des oeuvres les plus fortes de Clanetti. "Collection privée
"Donald Duck", 2009, "une paradoxale  dureté du regard et de l’expression"", Collection privée

Nous avions interviewé Andréa Clanetti à trois reprises au micro d'Edmond Morrel ( web radio www.espace-livres.be) :
On peut également retrouver Andréa Clanetti dans un court métrage de Julien Jauniaux (2012)