lundi 4 septembre 2017

Nicole Malinconi: l'envoûtant récit littéraire de l'Histoire

"De fer et de verre: La Maison du Peuple de Victor Horta"
de Nicole Malinconi

Edition: Les Impressions Nouvelles


De Nicole Malinconi, on se souvient d'une entrée en littérature aux Editions de Minuit, avec '"Hôpital silence". Suivront un Prix Rossel ("Nous deux", réédité chez Rspace Nord) et, nourri par de profonds échos que faisait retentir l'indélébile mémoire de Dutroux,  "Vous vous appelez Michelle Martin" (Denoël).
Elle nous revient aujourd'hui avec un récit littéraire historique (comment qualifier autrement ce livre envoûtant comme un roman, documenté de façon exceptionnelle et raconté de façon hypnotique?) consacré à la maison du peuple érigée à Bruxelles par Victor Horta en 1896 et démolie en 1965 dans l'hystérie immobilière et urbanistique de la capitale européenne.
Ce livre n'appartient pas aux genres dont pourtant il pourrait se réclamer. Le titre, "De fer et de verre, La Maison du peuple de Victor Horta", nous donne à penser que nous avons affaire à  un essai consacré au chef d'oeuvre disparu de l'architecture art nouveau à Bruxelles. C'est à la fois exact et trop schématique pour identifier ce récit qui invite le lecteur à une immersion dans l'Histoire belge, européenne, et bruxelloise de ces septante années et dans les différentes résonances qu'en a captées  un des bâtiments les plus emblématiques de cette période traversée par les bouleversements les plus telluriques du XXème siècle: tant les mouvements sociaux (depuis la naissance du Parti Ouvrier Belge jusqu'à l'adoption de la Loi Unique. Cette  "loi inique" comme on l'appela, provoqua la grève la plus spectaculaire et violente que la Belgique ait connue.), la destruction d'un patrimoine architectural (Malinconi cite un article du journal Le Peuple: "les locaux de la Maison ne correspondent plus au commerce moderne, (...) il faut faire du neuf dans des locaux attrayant pour la clientèle"), les deux guerres mondiales, l'apparition et l'organisation de services de santé (inaugurés par le Docteur César de Paepe), de coopératives ouvrières (où on faisait du vrai pain à prix accessible pour les ouvriers), une bibliothèque, un cercle artistique dont un des artisans fut Emile Verhaeren, etc

Horta avait annoncé l'intention morale de son projet: "une maison où l'air et la lumière seraient le luxe si longtemps exclu des taudis ouvriers"

Le livre de Nicole Malinconi  est l'éclatante démonstration d'un constat que nous avons souvent fait: il y a une sorte d'excellence à confier l'Histoire (grand H) à celles et ceux dont le métier et l'art est de raconter: les écrivains et les conteurs. Le "récit littéraire" tel que nous l'offre Nicole Malinconi plonge le lecteur dans une sidérante machine à remonter le temps, lui faisant sentir l'air du temps, les tensions et les violences, les bonheurs et les joies, les peurs et les espoirs déçus, les ambitions et les idéaux qu'incarnent, ici pendant les septante années d'existence de la Maison du Peuple, les protagonistes de l'Histoire dont  la conteuse, nous dit l'histoire et les histoires, en les passant au filtre de l'écriture littéraire. Le lecteur entre ainsi dans toutes les dimensions de l'événement dont il devient le témoin de proximité immédiate. A la fin du livre, non seulement il sait ce qui s'est passé mais il l'a senti et ressenti.

On aimerait que ce type de récits s'empare d'autres événements et ne cesse de nous enseigner  ce que nous sommes à travers l'histoire sociale, politique et culturelle des décennies passées. Malinconi a ouvert le chemin. A nous lecteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, professeurs d'en réclamer encore et encore. Les sujets abondent, ne serait-ce, à Bruxelles, qu'à partir d'autres édifices emblématiques: le Berlaymont, l'aéroport de Zaventem, l'Atomium, l'Académie des Beaux-Arts, le Musée de Tervuren etc etc.

Mais ne gâtons pas notre bonheur en le souhaitant déjà plus grand qu'il n'est et lisons le récit qui s'ouvre par cette phrase envoûtante, incipit proustien: 
"A la station du métro Horta à Bruxelles, si par hasard on quitte des yeux le sol des couloirs et les marches d'escalier ou d'Escalators et qu'on lève le regard, on voit à côté d'un vitrail à grandes formes colorées éclairé en permanence, une sorte de balustrade en arabesques et volutes de fer..."

Jean Jauniaux, Bruxelles, le 4 septembre 2017

Sur le site de l'éditeur:

"C’est d’abord l’histoire d’un lieu : la Maison du Peuple, bâtie en 1895 par Victor Horta en plein cœur de Bruxelles, dont on apprendra que sa démolition fut décidée, à peine 70 ans plus tard, par ceux-là mêmes qui l’avaient fait construire. Le lieu était pourtant prestigieux ; l’architecte rompait avec le style prudent de ses prédécesseurs, innovait avec la ligne courbe, l’asymétrie, l’honneur rendu au fer, au verre, à la lumière. Bref, celui qui révolutionnait l’art de bâtir et devenait un des maîtres de l’Art Nouveau, offrait au jeune Parti Ouvrier Belge un lieu à la hauteur de ses aspirations.C’est donc aussi l’histoire du socialisme naissant, en Belgique, des combats de ceux qui ne jouissaient à peu près d’aucun droit et prétendaient manger un pain digne de ce nom, de la traversée de deux guerres par un pays qui se voulait neutre, gouverné qu’il était et, sans doute, uni par un roi, mais dont les deux langues ont révélé à quel point ses habitants étaient divisés ; l’histoire d’un mouvement ouvrier et coopératif, puis d’un parti socialiste devenu un appareil, capable, sous prétexte de modernité, de détruire « sa » Maison sans états d’âme… et même de l’oublier.
Nicole Malinconi retrouve, dans l’écriture, les traces de ce lieu perdu."