samedi 19 mai 2018

Domenico Scarlatti et Györgi Ligeti réunis par Justin Taylor

"Sans la musique, la vie serait une erreur": Jean Lacroix a emprunté à Nietzsche  le titre de sa  série de rubriques consacrées à l'actualité discographique sur "LIVRaisons". A chacune de ces occasions, il nous donne à découvrir une source nouvelle d'enchantement, comme il le fait ici en nous invitant à écouter "Continuum" le dernier CD en date de Justin Taylor. Un fragment de ce CD sur Youtube nous a accompagné lors de la "Mise en LIVRaisons" de son article. 
Jean Jauniaux

"Un CD jouissif, intitulé logiquement « Continuum », enregistré en décembre 2017, que Taylor a construit avec bon goût, intelligence et audace et qu’il mène à un train d’enfer sur un instrument superbe. On attend avec impatience la prochaine étape discographique de ce prodigieux soliste, dont l’avenir ne peut être que doré." 
Jean Lacroix




Le Français Justin Taylor, âgé aujourd’hui de 26 ans, a été plébiscité lors du Concours de Bruges 2015 réservé à la musique ancienne. Couronné par le Premier Prix, le Prix du public et deux prix spéciaux, ce jeune artiste originaire d’Angers, qui a fait ses études au CNSM de Paris, a très vite montré toute l’étendue de son talent de claveciniste dans un CD Alpha salué par la critique, consacré à la famille Forqueray en 2016. 

Pour le même label, il propose cette fois un couplage insolite  Scarlatti-Ligeti qui va sans nul doute recueillir tous les suffrages (Alpha 399). A commencer par les nôtres. Inscrire au même programme Domenico  Scarlatti (1685-1757) et Györgi Ligeti (1923-2006) pourrait paraître curieux, mais ici, le dialogue entre les deux compositeurs est si proche de l’évidence que leurs sonorités semblent se répondre à deux cent cinquante ans de distance. Taylor a fait un choix dans le vaste catalogue de Scarlatti pour interpréter une douzaine de sonates qu’il propose par blocs entrecoupés par une œuvre de Ligeti, dont le fameux Continuum de 1968. Au sujet de celui-ci, la notice du livret rappelle une citation du compositeur dans un ouvrage qui lui a été consacré : « C’est comme un paysage vu d’un train : les tranches sont les poteaux télégraphiques, mais cela n’empêche pas de voir le paysage comme une unité, un tout. » C’est une partition explosive, aux notes extrêmement rapides, dont la répétition crée une unité absolue. Placé en fin de récital, avant une dernière sonate Andante cantabile de Scarlatti qui clôture le tout en beauté, ce prodigieux feu d’artifice est comme l’aboutissement d’une fête de l’oreille et des sens. 
Ce CD est très « physique » dans la mesure où l’auditeur est emporté par une joie communicative dans les sonates de Scarlatti, qu’elles s’inspirent du folklore espagnol, des chants d’oiseaux ou de lignes mélodiques aux couleurs variées, et par les trois œuvres de Ligeti qui s’intercalent sans en briser l’unité, comme si elles les magnifiaient. C’est que là aussi, on est en phase de participation, Ligeti nous emmenant dans un rythme effréné qui fait appel à sa Hongrie natale, à un baroque sublimé et même à d’irrésistibles accents de jazz et de musique pop. 
Un CD jouissif, intitulé logiquement « Continuum », enregistré en décembre 2017, que Taylor a construit avec bon goût, intelligence et audace et qu’il mène à un train d’enfer sur un instrument superbe. On attend avec impatience la prochaine étape discographique de ce prodigieux soliste, dont l’avenir ne peut être que doré.


Jean Lacroix, 19 mai 2018